Le Yémen, avec ses montagnes escarpées, ses plaines désertiques et ses villes imprégnées d’histoire, est bien plus qu’un simple carrefour culturel.
Un aspect singulier de la vie quotidienne yéménite capte immédiatement l’attention et : l’omniprésence du qat.
Cette feuille stimulante, consommée principalement l’après-midi, façonne non seulement les interactions sociales mais aussi le rythme de vie de tout le pays.
L’usage et la consommation généralisée de qat est un choix entre traditions, autrement dit addictions et ouvertures, cest à dire ruptures avec les multiples freins au développement.
Une tradition sociale ancestrale.
Au cœur des souks animés, comme ceux de Sanaa, le qat est omniprésent : les feuilles fraichement cueillies sur l’arbre et destinées à être longuement machées pour en extraire toute la substance active, sont très souvent vendues sur des étals visibles de tous.
Lorsque la politique gouvernementale yéménite affiche une certaine volonté de restriction de la consommation de cette drogue, les revendeurs, entourés de sachets de plastique remplis de feuilles fraîches, attendent discrètement le client dans des coins retirés de la vieille ville, comme les passages couverts ou les ruelles isolées.
Le qat est une drogue culturelle aux effets profonds.
Le qat (ou khat pour les anglo-saxons) est perçu comme un élément culturel, central de la vie sociale au Yémen, car ses effets augmentent la sociabilité et permettent de longues conversations animées, créant un sentiment de bien-être et d’énergie accrue.
Mais c’est également une substance psychoactive qui agit comme une drogue dite « douce », si toutefois cette notion de drogue « douce » n’est pas un leurre.
Le qat contient une substance active classée comme stimulant naturel, augmentant l’activité cérébrale, la vigilance, et induisant une sensation d’euphorie temporaire, avec des effets proches des amphétamines.
La consommation prolongée, souvent depuis l’adolescence et pendant plusieurs heures quotidiennement, provoque un état d’hyperactivité mentale (le top) suivi d’une longue phase de fatigue et d’irritabilité (le down).
Un rythme de vie particulier
Partout, au Yémen, la journée est structurée autour du qat.
Dès le matin, l’agitation commence avec l’arrivée des feuilles fraîchement cueillies dans les campagnes.
Traditionnellement la matinée est réservée aux affaires et aux obligations, dont le travail.
Mais à mesure que le soleil atteint son zénith, le rythme ralentit : les travailleurs rentrent chez eux, les commerçants ferment boutique, les administrations se vident, et Sanaa semble suspendre son souffle.
L’après-midi est le moment du « majlis », ce salon où l’on se regroupe entre amis, voisins ou collègues pour mâcher le qat.
La convivialité règne, mais ce moment de détente marque aussi une coupure nette dans la productivité quotidienne.
En fin de journée les tâches en attente restent inachevées, et les discussions cèdent la place à une léthargie généralisée.
Le qat imprime son rythme à l’après-midi yéménite alors que les joues gonflées que l’on rencontre partout témoignent de cette habitude inscrite dans les mœurs.
Le qat n’est pas qu’une plante au Yémen : il est le métronome d’un rythme de vie unique qui commence tôt le matin, dans les montagnes du nord ouest de Sanaa avec la cueillette quotidienne et l’ensachage des feuilles.
Celles-ci doivent être consommées très fraiches car l’efficacité de la substance diminue rapidement avec le vieillissement des feuilles ; ce qui explique que le qat ne soit pas exporté en dehors de ses pays de récolte et qu’il ne soit consommé que sur place.
Ses effets sur la santé physique, mentale et sociale en font un sujet controversé car son rôle central dans la routine quotidienne et son effet stimulant créent une dépendance psychologique forte. La consommation en fin de journée perturbe souvent les cycles de sommeil, menant à l’insomnie chronique.
Un frein considérable au développement du pays
Pourtant, ce rituel social s’accompagne de conséquences économiques et sociétales profondes qui freinent le développement du pays et l’usage généralisé du qat fait l’objet de débats.
Certains y voient une menace pour l’économie et les ressources en eau, car sa culture monopolise des terres agricoles précieuses. D’autres y trouvent un moyen de préserver des liens sociaux dans un pays souvent divisé.
Une ressource qui épuise le pays
Sur le plan agricole, le qat est un prédateur silencieux.
Cette plante, cultivée dans les montagnes et les plaines fertiles, monopolise environ 40 % des terres arables et absorbe une proportion écrasante des ressources en eau, dans un pays où cette dernière est extrêmement rare.
Ce choix agricole, au détriment des cultures vivrières, aggrave l’insécurité alimentaire et limite les capacités d’exportation.
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De plus, l’économie liée à la consommation de cette plante est largement informelle, comme on peut voir des producteurs vendant leur récolte au bord de la route dès qu’on sort de quelques dizaines de kilomètres dans les montagnes.
Cette culture maintient une économie parallèle prospère, mais freine les réformes nécessaires au développement national.